Pierre Gruson, professeur de finance à Kedge Business School à Bordeaux, était l’un de nos invités lors de la 7ème édition des Rendez-vous de Marchés Gagnants dans la capitale girondine. Ils revient sur les conséquences majeures de l’interventionnismes des banques centrales sur l’économie, mais aussi sur les marchés.
Quel est le rôle des banques centrales ?
Aujourd’hui, j’aurai tendance à dire qu’elles servent à injecter de la liquidité pour soutenir l’activité économique et à s’assurer de la stabilité du système financier…
Dans les cours d’économie et de finance, d’ordinaire, on apprenait plutôt qu’elles avaient pour mission de juguler la hausse des prix…
C’est vrai pour la Banque Centrale Européenne (BCE), mais la crise financière de 2008 a profondément changé la donne. Avant, le principal outil d’une banque centrale était son taux directeur à court terme avec un maniement relativement simple. En cas de surchauffe économique, la banque centrale remontait ses taux directeurs. Le crédit devenait plus cher et par ricochet, la demande d’emprunt était orientée à la baisse. A contrario, quand l’économie avait du mal, la banque centrale baissait ses taux, les crédits redevenaient moins chers et cela incitait les acteurs économiques à prendre des initiatives.
2008, c’est-à dire il y a déjà douze ans, marque une rupture. Car la baisse des taux directeurs à court terme des banques centrales n’a pas été suffisante pour relancer une machine fortement secouée par la faillite de la banque américaine Lehmann Brothers. D’où la mise en place de politiques monétaires non conventionnelles. Les banques centrales se sont ainsi mises à acquérir des emprunts sur le marché des obligations, où normalement, elles n’intervenaient pas directement. Aujourd’hui, les banques centrales avalent tout le papier qui se présente. Le taux n’est donc plus le reflet de la confrontation de l’offre et de la demande, comme on l’entendait auparavant…
Mais avoir des taux d’intérêt négatifs, comme depuis de longs mois sur le Vieux Continent, ce n’est pas facile à comprendre pour un épargnant…
Non ! Et pourtant cela à des conséquences majeures, par exemple, pour les fonds en euros des contrats d’assurance vie. Pourquoi en sommes-nous là ? Déjà, la Banque Centrale européenne applique un taux négatif de 0,5 % sur les dépôts des banques commerciales. Pour mémoire, la BCE, c’est la banque des banques ! Si une banque a des dépôts, elle a trois solutions potentielles. Soit elle les utilise pour accorder des prêts, soit elle le dépose à la banque centrale, soit elle l’investit sur les marchés. Donc si la banque n’a pas prêté, elle a intérêt à investir sur un titre avec un taux de -0,3 % que de payer à 0,5 % à la Banque Centrale.
N’oublions pas non plus les effets de la globalisation. Aujourd’hui, un investisseur international anticipe, par exemple, une baisse à venir du dollar de 10 %. S’il achète des emprunts américains, il aura certes un rendement positif, mais il va perdre sur le change. S’il vient sur des titres en euros, il perdra un peu sur l’intérêt, mais au final, son résultat sera meilleur.
Le changement de donne depuis 2008 est-il durable ou pas ?
La véritable inquiétude de nos économies, c’est la déflation. La déflation, c’est un phénomène de baisse des prix qui grippe tout le système. Si le client n’achète pas à l’instant t, considérant qu’il paiera moins cher demain ou après-midi, le producteur va décider de ne pas produire. Donc il ne va pas embaucher… A la clef, une hausse du chômage, une baisse de la consommation, un recul des prix et ainsi de suite. La stratégie actuelle vise à combattre ce phénomène. Selon toute vraisemblance, les taux d’intérêt resteront bas longtemps.
La théorie classique prétend que l’afflux de liquidités génère de l’inflation. Or, la planète croule sous l’argent et on peine à voir les prix flamber…
Les statiques sur l’évolution des prix des biens et services restent effectivement atones. L’inflation, il faudrait la souhaiter, même si on ne la voit pas ! En revanche, ces politiques monétaires très accommodantes ont des effets inflationnistes, non sur les dépenses du quotidien, mais sur la valeur des actifs, notamment immobiliers et boursiers. Ces marchés sont désormais plus marqués par les flux de capitaux que par les valeurs d’entreprises.
On a le sentiment que les banques centrales sont rentrées dans une mécanique dont elles ne savent pas comment sortir. Peut-on envisager une faillite de banque centrale ?
L’histoire récente nous démontre qu’il faut tout envisager. Même s’il faut conclure que l’hypothèse est peu probable. On notera toutefois une différence de taille entre l’Europe et les Etats-Unis. Le capital de la BCE, est détenu par les banques nationales et, par ricochet, par les Etats. A contrario, aux Etats-Unis, ce sont les Banques commerciales qui sont actionnaires indirectement de la Federal Reserve. A priori, les protections sont donc très différentes, l’Etat étant un actionnaire plus sûr qu’une structure bancaire surtout s’il s’agit de faire face à une nouvelle crise d’établissements financiers….
Quelle conclusion tirer de la situation actuelle ?
Force est de constater que nous vivons dans un monde que n’aurions pas imaginé il y a vingt ou trente ans. Aujourd’hui, les banques centrales sont devenues des agents économiques majeurs. D’ordinaire, on admettait que la taille de leur bilan devait correspondre à 7 % du Produit intérieur brut. Fin août 2020, il pèse 54 % en Europe et 32 % aux Etats-Unis. Face à des économies en difficulté, et la crise de la Covid ne va pas arranger les choses, elles vont longtemps rester à la manœuvre. A la clef des taux d’intérêts bas. Pour info, le scénario inverse – une hausse des taux rapide – serait une catastrophe pour les Etats, les assureurs vie, mais également pour d’innombrables entreprises qui peinent à prospérer aujourd’hui alors que leurs charges financières sont excessivement faibles. Ce bas niveau des taux pèsera sur les rendements des fonds en euros en assurance, mais poussera à la hausse les valorisations boursières et immobilières. Nous sommes donc clairement dans une ère nouvelle, où nos repères historiques ont du mal à fonctionner. Il faut donc remettre au jour ses connaissances dans ce nouvel environnement.
Bonjour M. Filliatre,
Comme je l’écris à Bekerman, à Delannoy, et d’autres où j’ai mes assurances vie, des milliers d’épargnants vous ont fait confiance en plaçant des économies d’une vie de labeur.
Aussi, je ne jouerais pas celles-ci sur l’autel de la Bourse, via les UC.
L’expertise financière demande du temps, de la compétence, c’est un métier à part entière.
Alors, assurez s’il vous plaît..et merci.
Petite réponse contrariante à votre message !
Vous avez raison sur le rôle de l’assureur : son métier est d’assurer et il est regrettable que la profession l’oublie trop souvent, se limitant à exploiter économique un cadres juridiques et fiscal favorable.
Sur le reste, nous nuançons. D’abord sur le mot « jouer » accolé de surcroît dans le cadre de l’assurance-vie. Jouer nécessite une liberté d’action et une vitesse d’exécution que l’assurance vie est incapable d’offrir.
Sur les mot « jouer en Bourse », ensuite. Nous préférons de loin la notion d’investir en Bourse et considérons à ce titre qu’il ne faut pas regarder les cours tous les jours… Nombre d’épargnants se sont ainsi bâtis de jolis patrimoines en investissant leur épargne salariale sur les marchés et en ne suivant pas leur investissement hormis en regardant tous les ans leur relevé !
Enfin, nous défendons l’idée que la gestion de son patrimoine est une activité – non un métier – qui nécessite surtout de la curiosité intellectuelle. Tout le monde peut aisément en découvrir les bases qui relèvent le plus souvent du bon sens. C’est en tout cas, toute la philosophie développée par Marchés Gagnants.
Merci de votre fidélité.